SAMOSELY (fin)

 


Ce matin-là, elle se réveilla le teint pâle. Elle avait rêvé toute la nuit qu’elle perdait ses dents, et ce détail la troublait car sa mère lui avait raconté un jour que les rêves pouvaient annoncer l’avenir, et perdre ses dents dans un rêve était un présage de mort. Or, il ne restait plus qu’elle, et Irina était superstitieuse.

Elle se décida à sortir quand même, comme elle avait prévu de le faire. Tourner la clé, ouvrir la porte de son appartement, puis la refermer, furent les seuls bruits de son immeuble.

On n’entendait rien.

Vraiment rien.

Irina se dit que le bruit avait finalement un côté rassurant, alors que le silence amplifiait les sons. Elle se sentait comme une intruse alors qu’elle était chez elle.

Dehors, le soleil dardait ses rayons du matin. Pas un bruit, même pas le sifflement d’un oiseau. Irina fut frappée par une odeur métallique trop fugace pour qu’elle puisse l’identifier. Elle tourna sur elle-même, bras tendus. Un tour, deux tours, trois tours, le visage offert en offrande au soleil.

Elle avait l’impression d’être seule au monde. Elle aimait ce moment tout en se disant qu’il n’était pas normal. Elle se disait qu’il était l’aboutissement d’un phénomène. C’était son instant à elle, il fallait en profiter. Un léger vent faisait voler son jupon ; soudain elle eut envie de crier, elle qui murmurait tant à elle-même lorsqu’elle était enfermée.

Le cri fut long, profond. C’était un soulagement de tout son corps, de tout son être.

« Je suis bien ! » hurla-t-elle plusieurs fois, sur la place. L’adrénaline monta  et la poussa à se mouvoir. Elle tourna le dos aux volets fermés de son épicerie fétiche, puis se dirigea vers la rue commerçante. Quelques papiers volaient çà et là. Le silence était tenace, alors pour le rompre, Irina se remit à crier : « je suis si bien ! Quelle joie ! Mais où êtes-vous tous, les gens ? », puis elle recommença à tourner sur elle-même, les yeux fermés, au milieu de la rue, le visage offert au ciel.

Le tournis la poussa à s’arrêter. Elle reprit équilibre, ouvrit les yeux et vit quelques silhouettes, parfois hirsutes, qui s’avançaient vers elle.

Elle ouvrit de grands yeux ronds. Elle n’était pas seule finalement.

Les Samosely s’approchaient.

Elle était une Samosely.