INTERPOLATIONS
Action d'interpoler, d'introduire dans un texte un élément qui n'était pas dans l'original (Larousse)
NAISSANCE
VERT-VERT
Déambulant dans les allées de l'exposition Gothiques du Louvre-Lens, attirée par la lumière de ce charmant petit tableau exposé, je lis le cartel qui fait référence à Un cœur simple de Gustave Flaubert.
Voilà de quoi m'intriguer, voilà de quoi enquêter !
Vert-Vert est d'abord un poème en quatre chants en décasyllabes de Jean-Baptiste Louis Gresset écrit en 1734 ,qui raconte comment un perroquet adopté par des sœurs du couvent de Nevers a conquis leurs cœurs. Sa particularité était d'avoir adopté un langage dévot qui ravissait les visitandines. En voici un extrait (début du poème) ICI
En 1830, le peintre Auguste Couder a peint la mort de Vert-Vert qui, après avoir été confié à des marins pour apprendre un nouveau langage, est revenu parmi les sœurs qui l'ont gavé de sucreries à en mourir, tant elles adoraient cet oiseau qui leur faisait oublier leur vie de recluse.
Alors pourquoi Un cœur simple de Flaubert ?
Cette nouvelle issue du recueil Trois contes, racontent la vie de Félicité, domestique dans une maison bourgeoise, qui remplit son quotidien de générosité et de sainteté. C'est un cœur simple qui croit et donne. L'arrivée du perroquet Loulou dans la maison lui permet de supporter dignement les malheurs qui s'abattent sur elle. Elle compare Loulou à une sainteté et lui voue à un amour sans limite.
On comprend mieux le rapprochement entre Vert-Vert et la nouvelle de Flaubert. S'est-il inspiré du poème et du tableau ?
Aller à une exposition sur l'histoire du Gothique à travers les âges pour se retrouver à mieux comprendre une histoire autour d'un perroquet, il n'y a qu'un pas. Et J'adore !
©Virginie Neufville/2025
TROIS PETITES CHAISES
Depuis qu'on nous a installées au bord du ravin, nous sommes inexorablement attirées par le vide. Pourtant, nous savons que c'est dangereux mais voler est notre rêve.
Nous savons que nous ne sommes que des pauvres chaises de jardin destinées à accueillir les fessiers d'inconnus, fatigués de la grimpette à parcourir pour nous atteindre ou attirés comme nous par la vue plongeante.
Notre propriétaire a bien compris qu'il y avait un problème. Chaque jour, il constatait que nous nous étions avancées pour basculer. Alors, pour attirer les passants, il nous a tatouées.
"jolie vue en toutes saisons"
Depuis, nous sommes devenues photogéniques, notre attirance pour le vide s'est atténuée. A nous la gloire ! Chaque saison, on nous fait le portrait, mais surtout, nous sommes devenues les confidentes de ceux qui viennent s'asseoir pour réfléchir.
©Virginie Neufville / 2025
SAMOSELY (fin)
Ce
matin-là, elle se réveilla le teint pâle. Elle avait rêvé toute la nuit qu’elle
perdait ses dents, et ce détail la troublait car sa mère lui avait raconté un
jour que les rêves pouvaient annoncer l’avenir, et perdre ses dents dans un
rêve était un présage de mort. Or, il ne restait plus qu’elle, et Irina était
superstitieuse.
Elle
se décida à sortir quand même, comme elle avait prévu de le faire. Tourner la
clé, ouvrir la porte de son appartement, puis la refermer, furent les seuls
bruits de son immeuble.
On
n’entendait rien.
Vraiment
rien.
Irina
se dit que le bruit avait finalement un côté rassurant, alors que le silence
amplifiait les sons. Elle se sentait comme une intruse alors qu’elle était chez
elle.
Dehors,
le soleil dardait ses rayons du matin. Pas un bruit, même pas le sifflement
d’un oiseau. Irina fut frappée par une odeur métallique trop fugace pour
qu’elle puisse l’identifier. Elle tourna sur elle-même, bras tendus. Un tour,
deux tours, trois tours, le visage offert en offrande au soleil.
Elle
avait l’impression d’être seule au monde. Elle aimait ce moment tout en se
disant qu’il n’était pas normal. Elle se disait qu’il était l’aboutissement
d’un phénomène. C’était son instant à elle, il fallait en profiter. Un léger
vent faisait voler son jupon ; soudain elle eut envie de crier, elle qui
murmurait tant à elle-même lorsqu’elle était enfermée.
Le
cri fut long, profond. C’était un soulagement de tout son corps, de tout son
être.
« Je suis bien ! » hurla-t-elle plusieurs fois, sur la
place. L’adrénaline monta et la poussa à se mouvoir. Elle tourna le dos
aux volets fermés de son épicerie fétiche, puis se dirigea vers la rue
commerçante. Quelques papiers volaient çà et là. Le silence était tenace, alors
pour le rompre, Irina se remit à crier : « je suis si bien ! Quelle joie ! Mais où êtes-vous
tous, les gens ? », puis elle recommença à tourner sur elle-même,
les yeux fermés, au milieu de la rue, le visage offert au ciel.
Le
tournis la poussa à s’arrêter. Elle reprit équilibre, ouvrit les yeux et vit
quelques silhouettes, parfois hirsutes, qui s’avançaient vers elle.
Elle
ouvrit de grands yeux ronds. Elle n’était pas seule finalement.
Les
Samosely s’approchaient.
Elle
était une Samosely.
SAMOSELY (2)
A
la télévision, aucune information digne de ce nom ne filtrait. Comme
d’habitude, on rassurait la population en disant que les autorités « gardaient tout sous contrôle ».
Mais c’était quoi ce tout ? Les
journalistes étaient rassurants, souriants même. Ils parlaient d’un rayon
invisible nocif qui miraculeusement avait pu être stoppé avant qu’il n’atteigne
les villes voisines. « On nage en
pleine science-fiction ! » se disait Irina tout haut, donnant
ainsi l’impression fugace qu’elle parlait à quelqu’un dans la
pièce. A force de vivre seule, elle avait développé quelques manies dont elle
était incapable de se débarrasser. Etait-elle donc la seule à observer le
manège nocturne des camions ?
Et
puis une nuit, les chevaux de Troie modernes ne vinrent pas. C’était la première
fois depuis vingt-huit nuits. Entre temps, en journée, Irina s’était rendue
compte que le silence de son immeuble était plus oppressant que d’habitude. Peu
de fenêtres avoisinantes étaient encore ouvertes. Il n’y avait plus d’enfants
qui criaient sur la place. Une voiture venait, de temps en temps, traversait la
rue, puis plus rien. Enfin, le commerce en face de chez elle, endroit
stratégique car c’était le seul endroit qui la poussait à quitter son nid et
affronter le monde extérieur, était résolument fermé. Même si elle avait pris
l’habitude de se nourrir avec parcimonie, vestige d’un temps où les privations
étaient plus nombreuses, ses réserves alimentaires n’étaient pas éternelles. Il
fallait trouver un plan B.
Sortir.
Sortir
et chercher.
Sortir,
chercher et affronter le monde extérieur.
Irina
décida de se donner quatre jours pour se faire à l’idée. Quatre jours pour
faire le point. Elle sortirait un mardi, jour habituel du marché, avant la
catastrophe.
(A suivre)
@Virginie Neufville
SAMOSELY (1)
Encore
une fois, elle n’avait pas dormi. C’était devenu une habitude depuis
la catastrophe. Après le stress et l’anxiété essentiellement dus à la
désinformation et aux folles rumeurs – son voisin ne lui avait-il pas raconté
qu’il connaissait quelqu’un qui avait vu, oui vu, des torches humaines courir
en tous sens dans le village deux heures après l’événement ! – elle avait
repris sa routine quotidienne car c’est ce qui la rassurait le plus.
Mais
la nuit, le bruit des moteurs des camions brisait et scandait le silence. On
les entendait venir de loin, forcément, et les remorques semblaient pousser des
cris lorsque les véhicules passaient sur des nids de poule. On aurait dit les
bruits que font les tôles des granges des fermes voisines lorsqu’une tempête
s’abat. Avec le recul, un gros coup de vent était plus rassurant ; c’était
un phénomène naturel qui aurait forcément une fin, sauf que là, les camions
venaient chaque nuit, se garaient et après…
Depuis
la fenêtre de cuisine de son petit appartement au quatrième étage de son
immeuble décrépi, elle avait normalement une vue plongeante sur la place où se
déroulaient les manœuvres. Or, depuis la catastrophe, les réverbères publics
semblaient s’être éteints définitivement. L’obscurité était encore plus noire,
les ombres encore plus étranges, et son imagination de plus en plus débordante.
Malgré tout, elle se postait, observait à travers la vitre, cherchant à
comprendre ce qui se passait.
Les
camions, ils étaient cinq ou six, cela dépendait, vomissaient leurs créatures
masquées et armées. On aurait dit des chevaux de Troie libérant leurs soldats parés
à envahir les rues du village. Avec le temps, elle attendait avec impatience la
pleine lune, jadis compagne de ses insomnies, car ses rayons blafards offraient
au moins du contraste. Alors, c’était un tout autre spectacle qui se livrait devant
ses yeux habitués à l’obscurité. Elle comprenait que les créatures masquées de
son imagination étaient des hommes (ou des femmes ?) qui avaient revêtues
des combinaisons blanches, et des masques à gaz. Leurs armes ressemblaient à
des aspirateurs à feuilles.
Chaque
nuit, ces individus se déployaient en petits groupes vers les quatre points
cardinaux de la cité, tandis que d’autres restaient sur place et, à l’aide de
la machine portative, se mettaient à arroser copieusement le sol.
Bizarre,
se disait-elle. Nous sommes en mai, c’est le printemps, mais pourquoi arroser
une zone où rien ne pousse ?
Bizarre.
Au
bout de trois ou quatre heures d’activité ininterrompue, ils partaient comme
ils étaient venus.
Oh,
elle n’était pas bête, même si les voisins avaient tendance à croire le
contraire puisqu’elle ne sortait quasiment jamais de chez elle, et se mêlait
peu à la vie de l’immeuble. Elle n’aimait pas les gens, c’est tout, et depuis
la mort de sa mère qui vivait avec elle, elle souffrait d’agoraphobie. Elle
avait donc compris que ce ballet nocturne était en relation avec l’événement
qui avait eu lieu à moins de trente kilomètres de chez elle. De toute façon,
rien ne tournait plus rond depuis, à l’extérieur. La journée, des gens
prenaient le bus avec quantité de bagages, les gamins pleurnichant à la main,
et ne revenaient pas le soir. Pourtant, le calendrier accroché dans sa salle
n’indiquait pas que c’était une période de vacances scolaires. Peu à peu, elle se
rendait compte que les rues se vidaient, que des volets n’étaient plus ouverts.
Oui,
quelque chose était en marche, et elle, Irina en était un témoin oculaire.
(à suivre)
@Virginie Neufville
Une beauté
Derrière un magasin d'équipements sportifs, la nature reprend ses droits.
Une allée menant vers un portail au loin, promesse d'un passé glorieux.
Plus personne ne voit cette allée, pourtant magnifique. Derrière son grillage, un vieux château abandonné que des promoteurs tentent de revendre en cellules commerciales.
Cette arche témoigne du passé du bâtiment et de sa grandeur d'antan. Elle reste debout, témoin incrédule de la société de consommation qui grignote pas à pas son espace.
Jusqu'à quand restera-t-elle debout, dernier rempart ? Peut-être que la végétation flamboyante la protègera de la destruction.
RENCONTRE
Trop de monde, trop de bruit et elle qui n'arrive pas !
Pourtant je ne me trompe pas, je suis bien au bon endroit. Presque une heure de retard...
Partir, rester, attendre encore ?
Elle m'avait promis qu'elle serait là, que je la reconnaîtrais tout de suite car elle porterait un long manteau rouge et des lunettes de soleil.
Je la connais sans la connaître ; amie virtuelle de longue date, confidente de mes craintes et de mes espoirs.
Et puis le désir profond de la rencontrer enfin, de lui parler sans l'intermédiaire d'un clavier, d'un écran.
Le temps file et toujours pas là ! Me serais-je fourvoyer ? Impossible !
Le temps file et me reviennent ces vers de Charles Baudelaire :
Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible,
Dont le doigt nous menace et nous dit : » Souviens-toi !
Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d’effroi
Se planteront bientôt comme dans une cible,Le plaisir vaporeux fuira vers l’horizon
Ainsi qu’une sylphide au fond de la coulisse ;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
A chaque homme accordé pour toute sa saison.
Désormais, il est tard, elle ne viendra plus. Mon cœur pleure et ma raison défaille.
©Virginie Neufville / 2025
Une promesse
La bande d'asphalte qui se déploie jusqu'à l'horizon rend possible la fuite vers des cieux plus cléments, davantage ensoleillés.
Sérénité
Il observe le fracas du monde consumériste, rempli de lumières, d'odeurs et de bruits.
J'ai adoré la façon qu'il avait de porter la cigarette à ses lèvres et la tranquillité qui se dégageait de ce geste.
Tout était agité autour de lui et il restait impassible.
Un moment suspendu.
La route
Je ne sais plus où mène ce chemin mais j'avance quand même car je n'ai pas le choix.La neige crisse sous mes vieilles chaussures, mon souffle se transforme en buée.








