NAISSANCE

 


A Naples, lorsqu'il y a une naissance, la tradition est d'accrocher une layette au porche du bâtiment, bleu pour le garçon, rose pour la fille.
C'est une étrange tradition purement napolitaine, un mélange de religion et de superstition étroitement lié au Vésuve et Pompéi. 
En accrochant cette layette, les parents demandent à la madone de Pompéi d'attirer le bon œil sur le bébé afin de le protéger de la maladie.

Vivre au pied d'un des volcans les plus dangereux au monde favorise sans doute les croyances diverses et variées. Dans la ville où Maradona est en passe de devenir une idole au sens religieux du terme, tout est bon pour attirer les ondes positives. Il suffirait d'une explosion comme en 79 ap J.C pour que la baie de Naples soit une nouvelle fois balayée de la carte. Cela n'empêche pas 700 000 personnes de vivre en zone rouge, au bon vouloir du destin.

©Virginie Neufville /2025

VERT-VERT


Déambulant dans les allées de l'exposition Gothiques du Louvre-Lens, attirée par la lumière de ce charmant petit tableau exposé, je lis le cartel qui fait référence à Un cœur simple de Gustave Flaubert.


Voilà de quoi m'intriguer, voilà de quoi enquêter !


Vert-Vert est d'abord un poème en quatre chants en décasyllabes de Jean-Baptiste Louis Gresset écrit en 1734 ,qui raconte comment un perroquet adopté par des sœurs du couvent de Nevers a conquis leurs cœurs. Sa particularité était d'avoir adopté un langage dévot qui ravissait les visitandines. En voici un extrait (début du poème) ICI

En 1830, le peintre Auguste Couder a peint la mort de Vert-Vert qui, après avoir été confié à des marins pour apprendre un nouveau langage, est revenu parmi les sœurs qui l'ont gavé de sucreries à en mourir, tant elles adoraient cet oiseau qui leur faisait oublier leur vie de recluse.

Alors pourquoi Un cœur simple de Flaubert ?

Cette nouvelle issue du recueil Trois contes, racontent la vie de Félicité, domestique dans une maison bourgeoise, qui remplit son quotidien de générosité et de sainteté. C'est un cœur simple qui croit et donne. L'arrivée du perroquet Loulou dans la maison lui permet de supporter dignement les malheurs qui s'abattent sur elle. Elle compare Loulou à une sainteté et lui voue à un amour sans limite.

On comprend mieux le rapprochement entre Vert-Vert et la nouvelle de Flaubert. S'est-il inspiré du poème et du tableau ?

Aller à une exposition sur l'histoire du Gothique à travers les âges pour se retrouver à mieux comprendre une histoire autour d'un perroquet, il n'y a qu'un pas. Et J'adore !


©Virginie Neufville/2025






TROIS PETITES CHAISES

 


Depuis qu'on nous a installées au bord du ravin, nous sommes inexorablement attirées par le vide. Pourtant, nous savons que c'est dangereux mais voler est notre rêve.

Nous savons que nous ne sommes que des pauvres chaises de jardin destinées à accueillir les fessiers d'inconnus, fatigués de la grimpette à parcourir pour nous atteindre ou attirés comme nous par la vue plongeante.

Notre propriétaire a bien compris qu'il y avait un problème. Chaque jour, il constatait que nous nous étions avancées pour basculer. Alors, pour attirer les passants, il nous a tatouées.

"jolie vue en toutes saisons"

 Depuis, nous sommes devenues photogéniques, notre attirance pour le vide s'est atténuée. A nous la gloire ! Chaque saison, on nous fait le portrait, mais surtout, nous sommes devenues les confidentes de ceux qui viennent s'asseoir pour réfléchir.

©Virginie Neufville / 2025

SAMOSELY (fin)

 


Ce matin-là, elle se réveilla le teint pâle. Elle avait rêvé toute la nuit qu’elle perdait ses dents, et ce détail la troublait car sa mère lui avait raconté un jour que les rêves pouvaient annoncer l’avenir, et perdre ses dents dans un rêve était un présage de mort. Or, il ne restait plus qu’elle, et Irina était superstitieuse.

Elle se décida à sortir quand même, comme elle avait prévu de le faire. Tourner la clé, ouvrir la porte de son appartement, puis la refermer, furent les seuls bruits de son immeuble.

On n’entendait rien.

Vraiment rien.

Irina se dit que le bruit avait finalement un côté rassurant, alors que le silence amplifiait les sons. Elle se sentait comme une intruse alors qu’elle était chez elle.

Dehors, le soleil dardait ses rayons du matin. Pas un bruit, même pas le sifflement d’un oiseau. Irina fut frappée par une odeur métallique trop fugace pour qu’elle puisse l’identifier. Elle tourna sur elle-même, bras tendus. Un tour, deux tours, trois tours, le visage offert en offrande au soleil.

Elle avait l’impression d’être seule au monde. Elle aimait ce moment tout en se disant qu’il n’était pas normal. Elle se disait qu’il était l’aboutissement d’un phénomène. C’était son instant à elle, il fallait en profiter. Un léger vent faisait voler son jupon ; soudain elle eut envie de crier, elle qui murmurait tant à elle-même lorsqu’elle était enfermée.

Le cri fut long, profond. C’était un soulagement de tout son corps, de tout son être.

« Je suis bien ! » hurla-t-elle plusieurs fois, sur la place. L’adrénaline monta  et la poussa à se mouvoir. Elle tourna le dos aux volets fermés de son épicerie fétiche, puis se dirigea vers la rue commerçante. Quelques papiers volaient çà et là. Le silence était tenace, alors pour le rompre, Irina se remit à crier : « je suis si bien ! Quelle joie ! Mais où êtes-vous tous, les gens ? », puis elle recommença à tourner sur elle-même, les yeux fermés, au milieu de la rue, le visage offert au ciel.

Le tournis la poussa à s’arrêter. Elle reprit équilibre, ouvrit les yeux et vit quelques silhouettes, parfois hirsutes, qui s’avançaient vers elle.

Elle ouvrit de grands yeux ronds. Elle n’était pas seule finalement.

Les Samosely s’approchaient.

Elle était une Samosely.

SAMOSELY (2)

 



A la télévision, aucune information digne de ce nom ne filtrait. Comme d’habitude, on rassurait la population en disant que les autorités « gardaient tout sous contrôle ». Mais c’était quoi ce tout ? Les journalistes étaient rassurants, souriants même. Ils parlaient d’un rayon invisible nocif qui miraculeusement avait pu être stoppé avant qu’il n’atteigne les villes voisines. « On nage en pleine science-fiction ! » se disait Irina tout haut, donnant ainsi l’impression fugace qu’elle parlait à quelqu’un  dans la pièce. A force de vivre seule, elle avait développé quelques manies dont elle était incapable de se débarrasser. Etait-elle donc la seule à observer le manège nocturne des camions ?

Et puis une nuit, les chevaux de Troie modernes ne vinrent pas. C’était la première fois depuis vingt-huit nuits. Entre temps, en journée, Irina s’était rendue compte que le silence de son immeuble était plus oppressant que d’habitude. Peu de fenêtres avoisinantes étaient encore ouvertes. Il n’y avait plus d’enfants qui criaient sur la place. Une voiture venait, de temps en temps, traversait la rue, puis plus rien. Enfin, le commerce en face de chez elle, endroit stratégique car c’était le seul endroit qui la poussait à quitter son nid et affronter le monde extérieur, était résolument fermé. Même si elle avait pris l’habitude de se nourrir avec parcimonie, vestige d’un temps où les privations étaient plus nombreuses, ses réserves alimentaires n’étaient pas éternelles. Il fallait trouver un plan B.

Sortir.

Sortir et chercher.

Sortir, chercher et affronter le monde extérieur.

Irina décida de se donner quatre jours pour se faire à l’idée. Quatre jours pour faire le point. Elle sortirait un mardi, jour habituel du marché, avant la catastrophe.

(A suivre)


@Virginie Neufville

SAMOSELY (1)

 


Encore une fois, elle n’avait pas dormi. C’était devenu une habitude depuis la catastrophe. Après le stress et l’anxiété essentiellement dus à la désinformation et aux folles rumeurs – son voisin ne lui avait-il pas raconté qu’il connaissait quelqu’un qui avait vu, oui vu, des torches humaines courir en tous sens dans le village deux heures après l’événement ! – elle avait repris sa routine quotidienne car c’est ce qui la rassurait le plus.

Mais la nuit, le bruit des moteurs des camions brisait et scandait le silence. On les entendait venir de loin, forcément, et les remorques semblaient pousser des cris lorsque les véhicules passaient sur des nids de poule. On aurait dit les bruits que font les tôles des granges des fermes voisines lorsqu’une tempête s’abat. Avec le recul, un gros coup de vent était plus rassurant ; c’était un phénomène naturel qui aurait forcément une fin, sauf que là, les camions venaient chaque nuit, se garaient et après…

Depuis la fenêtre de cuisine de son petit appartement au quatrième étage de son immeuble décrépi, elle avait normalement une vue plongeante sur la place où se déroulaient les manœuvres. Or, depuis la catastrophe, les réverbères publics semblaient s’être éteints définitivement. L’obscurité était encore plus noire, les ombres encore plus étranges, et son imagination de plus en plus débordante. Malgré tout, elle se postait, observait à travers la vitre, cherchant à comprendre ce qui se passait.

Les camions, ils étaient cinq ou six, cela dépendait, vomissaient leurs créatures masquées et armées. On aurait dit des chevaux de Troie libérant leurs soldats parés à envahir les rues du village. Avec le temps, elle attendait avec impatience la pleine lune, jadis compagne de ses insomnies, car ses rayons blafards offraient au moins du contraste. Alors, c’était un tout autre spectacle qui se livrait devant ses yeux habitués à l’obscurité. Elle comprenait que les créatures masquées de son imagination étaient des hommes (ou des femmes ?) qui avaient revêtues des combinaisons blanches, et des masques à gaz. Leurs armes ressemblaient à des aspirateurs à feuilles.

Chaque nuit, ces individus se déployaient en petits groupes vers les quatre points cardinaux de la cité, tandis que d’autres restaient sur place et, à l’aide de la machine portative, se mettaient à arroser copieusement le sol.

Bizarre, se disait-elle. Nous sommes en mai, c’est le printemps, mais pourquoi arroser une zone où rien ne pousse ?

Bizarre.

Au bout de trois ou quatre heures d’activité ininterrompue, ils partaient comme ils étaient venus.

Oh, elle n’était pas bête, même si les voisins avaient tendance à croire le contraire puisqu’elle ne sortait quasiment jamais de chez elle, et se mêlait peu à la vie de l’immeuble. Elle n’aimait pas les gens, c’est tout, et depuis la mort de sa mère qui vivait avec elle, elle souffrait d’agoraphobie. Elle avait donc compris que ce ballet nocturne était en relation avec l’événement qui avait eu lieu à moins de trente kilomètres de chez elle. De toute façon, rien ne tournait plus rond depuis, à l’extérieur. La journée, des gens prenaient le bus avec quantité de bagages, les gamins pleurnichant à la main, et ne revenaient pas le soir. Pourtant, le calendrier accroché dans sa salle n’indiquait pas que c’était une période de vacances scolaires. Peu à peu, elle se rendait compte que les rues se vidaient, que des volets n’étaient plus ouverts.

Oui, quelque chose était en marche, et elle, Irina en était un témoin oculaire.

(à suivre)

@Virginie Neufville


Une beauté

 


Derrière un magasin d'équipements sportifs, la nature reprend ses droits.

Une allée menant vers un portail au loin, promesse d'un passé glorieux.

Plus personne ne voit cette allée, pourtant magnifique. Derrière son grillage, un vieux château abandonné que des promoteurs tentent de revendre en cellules commerciales.

Cette arche témoigne du passé du bâtiment et de sa grandeur d'antan. Elle reste debout, témoin incrédule de la société de consommation qui grignote pas à pas son espace.

Jusqu'à quand restera-t-elle debout, dernier rempart ? Peut-être que la végétation flamboyante la protègera de la destruction.

RENCONTRE

 


Trop de monde, trop de bruit et elle qui n'arrive pas !

Pourtant je ne me trompe pas, je suis bien au bon endroit. Presque une heure de retard... 

Partir, rester, attendre encore ?

Elle m'avait promis qu'elle serait là, que je la reconnaîtrais tout de suite car elle porterait un long manteau rouge et des lunettes de soleil.

Je la connais sans la connaître ; amie virtuelle de longue date, confidente de mes craintes et de mes espoirs.

Et puis le désir profond de la rencontrer enfin, de lui parler sans l'intermédiaire d'un clavier, d'un écran.

Le temps file et toujours pas là ! Me serais-je fourvoyer ? Impossible !

Le temps file et me reviennent ces vers de Charles Baudelaire :

Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible,
Dont le doigt nous menace et nous dit :  » Souviens-toi !
Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d’effroi
Se planteront bientôt comme dans une cible,

Le plaisir vaporeux fuira vers l’horizon
Ainsi qu’une sylphide au fond de la coulisse ;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
A chaque homme accordé pour toute sa saison.

 Désormais, il est tard, elle ne viendra plus. Mon cœur pleure et ma raison défaille.

©Virginie Neufville / 2025

Une promesse


 La bande d'asphalte qui se déploie jusqu'à l'horizon rend possible la fuite vers des cieux plus cléments, davantage ensoleillés.

L'autoroute est la promesse d'une aventure permanente. Stations services, aires anonymes, va et vient de milliers de personnes.

Au bout, on s'imagine la mer, un autre pays, de nouvelles rencontres et, pourquoi pas, un nouveau départ.

Pourtant, cette route n'est qu'un rouleau de bitume sur des centaines de kilomètres, témoin ignorant des prouesses technologiques à l'heure où on rêve de vivre à la campagne loin de son bruit permanent.

Car la bande d'asphalte ne se repose jamais. Pas de vacances pour elle sauf en temps de pandémie quand la société est confinée. Et là, plus besoin de passerelles aménagées pour les animaux sauvages afin de la traverser. 

L'autoroute est une promesse polluante et bruyante de départ. Elle incarne toutes nos contradictions. Vite, vite, encore plus vite.

©Virginie Neufville/2025

Sérénité


L'élégance d'un vieil homme en train de fumer, un jour d'hiver froid et sec.

Il observe le fracas du monde consumériste, rempli de lumières, d'odeurs et de bruits.

J'ai adoré la façon qu'il avait de porter la cigarette à ses lèvres et la tranquillité qui se dégageait de ce geste.

Tout était agité autour de lui et il restait impassible.


Un moment suspendu.
 

La route


Je ne sais plus où mène ce chemin mais j'avance quand même car je n'ai pas le choix.
La neige crisse sous mes vieilles chaussures, mon souffle se transforme en buée.
Mon corps est chaud ; je transpire ; ma silhouette fume comme si elle allait prendre feu.
La neige et le feu ensemble dans un moment ultime et solennel.

Je ne sais plus où mène ce chemin mais j'ai décidé d'avancer vers la brume qui cache le paysage. Suis-je à l'orée d'un bois ou d'un village ? A-t-il été épargné de la folie des hommes ? Avancer c'est vivre et y croire encore, un peu. Si je m'arrête, le froid chassera la chaleur de mon corps, m'envahira et je sombrerai.

Je ne sais plus où mène ce chemin mais je l'imagine m'amener vers un hameau verdoyant où je pourrais me reposer. Le chemin semble dégagé, c'est bon signe à moins qu'il ait servi pour les véhicules transportant  de la chair à canon. Non, non, chasse cette hypothèse de ton esprit car nous sommes loin de la ville et des combats.

Je ne sais plus où mène ce chemin car ma mémoire est défaillante. Lorsque j'ai passé le virage, de la lumière, au loin. Un incendie ? Un feu pour se réchauffer ? Ce point lumineux dans le brouillard ne danse pas, semble immobile. Et si c'était un foyer où me reposer, me réchauffer ?

Soudain, je me souviens du mythe de Philémon et Baucis et je décide d'être celui qui sera accueilli par des gens remplis de bonté. Le tout c'est d'y croire. L'espoir me fait avancer plus vite...

©Virginie Neufville / 2025