Qui est-il ?

Se promener dans le vieux village provençal de Banon.

Chercher de l'ombre.

Se sentir observée.

je lève la tête et je vois le buste d'un grand homme regardant vers l'horizon.

Mais qui est-il ? 

Il est au bon endroit, dominant les touristes qui arpentent les vieilles rues. Il sera là encore quand il n'y aura plus personne, seulement l'horizon à contempler.

Et je me dis que j'aimerais tant être à sa place, 

tranquille,

protégé des rayons ardents du soleil,

attendant que temps passe,

inexorablement.


©Virginie Neufville/2025

 

MAL DU SIECLE

Quand un tableau raconte le mal du siècle et les tourments d'un homme en proie à un amour interdit dont la sœur, ressentant la même passion coupable, se retire au couvent.


©photos Virginie Neufville / Exposition Gothiques le Louvre-Lens.

ANGOISSE

 

L'angoisse me serre le cœur, 

M'étrein irrésistiblement

Comme un amoureux passionné

Qui ne veut pas me quitter.

L'angoisse se nourrit de moi,

De mes chagrins passés,

De mes peines à venir.

Elle m'envahit, me grignote,

Me vampirise.

L'angoisse parfois disparaît,

Prend la fuite

Vers d'autres horizons.

Elle me libère, un temps,

Puis revient, irrésistiblement,

Pour me cueillir dans ses bras.


©Virginie Neufville/2025

Le chemin


Bien avisé celui qui croit savoir la direction que va prendre sa vie.
L'adage dit "tous les chemins mènent à Rome" ; quel que soit le chemin emprunté, on arrive tous à la même destination.
Laquelle ? La mort ?

Les panneaux nous remettent sur le droit chemin, nous évitent les déambulations erratiques ou simplement nous indiquent d'autres possibles.

Choisir une direction c'est la liberté de prendre un itinéraire. C'est le début du libre arbitre. La contrainte n'existe plus à la croisée des chemins. Le choix imprime ce que je ressens et ce que je veux à cet instant.

S'éloigner, battre la campagne, marcher au petit bonheur la chance, tel le Baumgartner de Paul Auster à la fin du roman (Baumgartner, Actes Sud, 2024) qui marche, blessé, au bord de la route.
"Et quand il arrive à la première maison et frappe à la porte, le dernier chapitre de la saga S.T Baumgartner débute".
La vie est une succession de chapitres dont le dernier est le même pour tous. A nous d'arriver à la fin sans trop d'ellipses et de regrets.

©Virginie Neufville / 2025

BRUME



 Nous y sommes. Pas de fumerolles, pas de fleuve écumant qui nous entoure, mais un brouillard épais et humide porté par un vent tourbillonnant.

L'Enfer tel que le décrit les Anciens et l'imagination collective devient réalité quand on monte le flanc du Vésuve un jour de mauvais temps.

Seul le sentier balisé par une malheureuse corde qui a vu des jours meilleurs nous garantit de ne pas basculer dans le vide.

Et c'est un monde stérile qui se dessine autour de nous. Le cratère, sur notre droite reste invisible, bien protégé des nuages mais on le contemple quand même, hypnotisé par ce qu'on ne voit pas mais qu'on devine aisément.

Là, me revient une image de mon vieux livre de littérature au lycée, illustrant le poète romantique. Je suis au milieu des nuages, sur le Vésuve et je devine l'Enfer sous moi qui gronde et attend son heure.

©Virginie Neufville/2025



NAISSANCE

 


A Naples, lorsqu'il y a une naissance, la tradition est d'accrocher une layette au porche du bâtiment, bleu pour le garçon, rose pour la fille.
C'est une étrange tradition purement napolitaine, un mélange de religion et de superstition étroitement lié au Vésuve et Pompéi. 
En accrochant cette layette, les parents demandent à la madone de Pompéi d'attirer le bon œil sur le bébé afin de le protéger de la maladie.

Vivre au pied d'un des volcans les plus dangereux au monde favorise sans doute les croyances diverses et variées. Dans la ville où Maradona est en passe de devenir une idole au sens religieux du terme, tout est bon pour attirer les ondes positives. Il suffirait d'une explosion comme en 79 ap J.C pour que la baie de Naples soit une nouvelle fois balayée de la carte. Cela n'empêche pas 700 000 personnes de vivre en zone rouge, au bon vouloir du destin.

©Virginie Neufville /2025

VERT-VERT


Déambulant dans les allées de l'exposition Gothiques du Louvre-Lens, attirée par la lumière de ce charmant petit tableau exposé, je lis le cartel qui fait référence à Un cœur simple de Gustave Flaubert.


Voilà de quoi m'intriguer, voilà de quoi enquêter !


Vert-Vert est d'abord un poème en quatre chants en décasyllabes de Jean-Baptiste Louis Gresset écrit en 1734 ,qui raconte comment un perroquet adopté par des sœurs du couvent de Nevers a conquis leurs cœurs. Sa particularité était d'avoir adopté un langage dévot qui ravissait les visitandines. En voici un extrait (début du poème) ICI

En 1830, le peintre Auguste Couder a peint la mort de Vert-Vert qui, après avoir été confié à des marins pour apprendre un nouveau langage, est revenu parmi les sœurs qui l'ont gavé de sucreries à en mourir, tant elles adoraient cet oiseau qui leur faisait oublier leur vie de recluse.

Alors pourquoi Un cœur simple de Flaubert ?

Cette nouvelle issue du recueil Trois contes, racontent la vie de Félicité, domestique dans une maison bourgeoise, qui remplit son quotidien de générosité et de sainteté. C'est un cœur simple qui croit et donne. L'arrivée du perroquet Loulou dans la maison lui permet de supporter dignement les malheurs qui s'abattent sur elle. Elle compare Loulou à une sainteté et lui voue à un amour sans limite.

On comprend mieux le rapprochement entre Vert-Vert et la nouvelle de Flaubert. S'est-il inspiré du poème et du tableau ?

Aller à une exposition sur l'histoire du Gothique à travers les âges pour se retrouver à mieux comprendre une histoire autour d'un perroquet, il n'y a qu'un pas. Et J'adore !


©Virginie Neufville/2025






TROIS PETITES CHAISES

 


Depuis qu'on nous a installées au bord du ravin, nous sommes inexorablement attirées par le vide. Pourtant, nous savons que c'est dangereux mais voler est notre rêve.

Nous savons que nous ne sommes que des pauvres chaises de jardin destinées à accueillir les fessiers d'inconnus, fatigués de la grimpette à parcourir pour nous atteindre ou attirés comme nous par la vue plongeante.

Notre propriétaire a bien compris qu'il y avait un problème. Chaque jour, il constatait que nous nous étions avancées pour basculer. Alors, pour attirer les passants, il nous a tatouées.

"jolie vue en toutes saisons"

 Depuis, nous sommes devenues photogéniques, notre attirance pour le vide s'est atténuée. A nous la gloire ! Chaque saison, on nous fait le portrait, mais surtout, nous sommes devenues les confidentes de ceux qui viennent s'asseoir pour réfléchir.

©Virginie Neufville / 2025

SAMOSELY (fin)

 


Ce matin-là, elle se réveilla le teint pâle. Elle avait rêvé toute la nuit qu’elle perdait ses dents, et ce détail la troublait car sa mère lui avait raconté un jour que les rêves pouvaient annoncer l’avenir, et perdre ses dents dans un rêve était un présage de mort. Or, il ne restait plus qu’elle, et Irina était superstitieuse.

Elle se décida à sortir quand même, comme elle avait prévu de le faire. Tourner la clé, ouvrir la porte de son appartement, puis la refermer, furent les seuls bruits de son immeuble.

On n’entendait rien.

Vraiment rien.

Irina se dit que le bruit avait finalement un côté rassurant, alors que le silence amplifiait les sons. Elle se sentait comme une intruse alors qu’elle était chez elle.

Dehors, le soleil dardait ses rayons du matin. Pas un bruit, même pas le sifflement d’un oiseau. Irina fut frappée par une odeur métallique trop fugace pour qu’elle puisse l’identifier. Elle tourna sur elle-même, bras tendus. Un tour, deux tours, trois tours, le visage offert en offrande au soleil.

Elle avait l’impression d’être seule au monde. Elle aimait ce moment tout en se disant qu’il n’était pas normal. Elle se disait qu’il était l’aboutissement d’un phénomène. C’était son instant à elle, il fallait en profiter. Un léger vent faisait voler son jupon ; soudain elle eut envie de crier, elle qui murmurait tant à elle-même lorsqu’elle était enfermée.

Le cri fut long, profond. C’était un soulagement de tout son corps, de tout son être.

« Je suis bien ! » hurla-t-elle plusieurs fois, sur la place. L’adrénaline monta  et la poussa à se mouvoir. Elle tourna le dos aux volets fermés de son épicerie fétiche, puis se dirigea vers la rue commerçante. Quelques papiers volaient çà et là. Le silence était tenace, alors pour le rompre, Irina se remit à crier : « je suis si bien ! Quelle joie ! Mais où êtes-vous tous, les gens ? », puis elle recommença à tourner sur elle-même, les yeux fermés, au milieu de la rue, le visage offert au ciel.

Le tournis la poussa à s’arrêter. Elle reprit équilibre, ouvrit les yeux et vit quelques silhouettes, parfois hirsutes, qui s’avançaient vers elle.

Elle ouvrit de grands yeux ronds. Elle n’était pas seule finalement.

Les Samosely s’approchaient.

Elle était une Samosely.

SAMOSELY (2)

 



A la télévision, aucune information digne de ce nom ne filtrait. Comme d’habitude, on rassurait la population en disant que les autorités « gardaient tout sous contrôle ». Mais c’était quoi ce tout ? Les journalistes étaient rassurants, souriants même. Ils parlaient d’un rayon invisible nocif qui miraculeusement avait pu être stoppé avant qu’il n’atteigne les villes voisines. « On nage en pleine science-fiction ! » se disait Irina tout haut, donnant ainsi l’impression fugace qu’elle parlait à quelqu’un  dans la pièce. A force de vivre seule, elle avait développé quelques manies dont elle était incapable de se débarrasser. Etait-elle donc la seule à observer le manège nocturne des camions ?

Et puis une nuit, les chevaux de Troie modernes ne vinrent pas. C’était la première fois depuis vingt-huit nuits. Entre temps, en journée, Irina s’était rendue compte que le silence de son immeuble était plus oppressant que d’habitude. Peu de fenêtres avoisinantes étaient encore ouvertes. Il n’y avait plus d’enfants qui criaient sur la place. Une voiture venait, de temps en temps, traversait la rue, puis plus rien. Enfin, le commerce en face de chez elle, endroit stratégique car c’était le seul endroit qui la poussait à quitter son nid et affronter le monde extérieur, était résolument fermé. Même si elle avait pris l’habitude de se nourrir avec parcimonie, vestige d’un temps où les privations étaient plus nombreuses, ses réserves alimentaires n’étaient pas éternelles. Il fallait trouver un plan B.

Sortir.

Sortir et chercher.

Sortir, chercher et affronter le monde extérieur.

Irina décida de se donner quatre jours pour se faire à l’idée. Quatre jours pour faire le point. Elle sortirait un mardi, jour habituel du marché, avant la catastrophe.

(A suivre)


@Virginie Neufville

SAMOSELY (1)

 


Encore une fois, elle n’avait pas dormi. C’était devenu une habitude depuis la catastrophe. Après le stress et l’anxiété essentiellement dus à la désinformation et aux folles rumeurs – son voisin ne lui avait-il pas raconté qu’il connaissait quelqu’un qui avait vu, oui vu, des torches humaines courir en tous sens dans le village deux heures après l’événement ! – elle avait repris sa routine quotidienne car c’est ce qui la rassurait le plus.

Mais la nuit, le bruit des moteurs des camions brisait et scandait le silence. On les entendait venir de loin, forcément, et les remorques semblaient pousser des cris lorsque les véhicules passaient sur des nids de poule. On aurait dit les bruits que font les tôles des granges des fermes voisines lorsqu’une tempête s’abat. Avec le recul, un gros coup de vent était plus rassurant ; c’était un phénomène naturel qui aurait forcément une fin, sauf que là, les camions venaient chaque nuit, se garaient et après…

Depuis la fenêtre de cuisine de son petit appartement au quatrième étage de son immeuble décrépi, elle avait normalement une vue plongeante sur la place où se déroulaient les manœuvres. Or, depuis la catastrophe, les réverbères publics semblaient s’être éteints définitivement. L’obscurité était encore plus noire, les ombres encore plus étranges, et son imagination de plus en plus débordante. Malgré tout, elle se postait, observait à travers la vitre, cherchant à comprendre ce qui se passait.

Les camions, ils étaient cinq ou six, cela dépendait, vomissaient leurs créatures masquées et armées. On aurait dit des chevaux de Troie libérant leurs soldats parés à envahir les rues du village. Avec le temps, elle attendait avec impatience la pleine lune, jadis compagne de ses insomnies, car ses rayons blafards offraient au moins du contraste. Alors, c’était un tout autre spectacle qui se livrait devant ses yeux habitués à l’obscurité. Elle comprenait que les créatures masquées de son imagination étaient des hommes (ou des femmes ?) qui avaient revêtues des combinaisons blanches, et des masques à gaz. Leurs armes ressemblaient à des aspirateurs à feuilles.

Chaque nuit, ces individus se déployaient en petits groupes vers les quatre points cardinaux de la cité, tandis que d’autres restaient sur place et, à l’aide de la machine portative, se mettaient à arroser copieusement le sol.

Bizarre, se disait-elle. Nous sommes en mai, c’est le printemps, mais pourquoi arroser une zone où rien ne pousse ?

Bizarre.

Au bout de trois ou quatre heures d’activité ininterrompue, ils partaient comme ils étaient venus.

Oh, elle n’était pas bête, même si les voisins avaient tendance à croire le contraire puisqu’elle ne sortait quasiment jamais de chez elle, et se mêlait peu à la vie de l’immeuble. Elle n’aimait pas les gens, c’est tout, et depuis la mort de sa mère qui vivait avec elle, elle souffrait d’agoraphobie. Elle avait donc compris que ce ballet nocturne était en relation avec l’événement qui avait eu lieu à moins de trente kilomètres de chez elle. De toute façon, rien ne tournait plus rond depuis, à l’extérieur. La journée, des gens prenaient le bus avec quantité de bagages, les gamins pleurnichant à la main, et ne revenaient pas le soir. Pourtant, le calendrier accroché dans sa salle n’indiquait pas que c’était une période de vacances scolaires. Peu à peu, elle se rendait compte que les rues se vidaient, que des volets n’étaient plus ouverts.

Oui, quelque chose était en marche, et elle, Irina en était un témoin oculaire.

(à suivre)

@Virginie Neufville